Être blessé au combat

L’expérience combattante, la singularité du combattant

S’il est vrai que la perspective de la mort du soldat au combat peut apparaître comme une « hypothèse de travail », celle d’une blessure au combat l’est tout autant, si ce n’est plus. À cet égard, ces OPEX ont été sources de blessures tout aussi bien physiques que psychiques, avec les spécificités liées aux conflits asymétriques récents - notamment en Afghanistan et au Mali.

Véhicule de l’avant blindé sanitarisé (VAB SAN) à l’entraînement © SirpaTerre

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Être blessé au combat

Mis à jour : 3 novembre 2022.

 

Par : LTN ® Calixte WAGNER du Bureau anticipation prospective.

 

Il s’agit à tout le moins d’une réalité de tous les engagements armés : cette « part humaine des acteurs de la guerre », les soldats étant des êtres humains d’essence vulnérable et qui intègrent cette idée de risque. Pour des raisons qui tiennent au secret qui accompagne les nécessités stratégiques des engagements militaires, ainsi qu’au devoir de soutien moral vis-à-vis des militaires encore engagés, l’armée de Terre, au même titre que les autres armées françaises, ne communique pas directement sur le nombre exact de soldats blessés au combat. C’est pourquoi cette particularité a été rappelée par un rapport récent de l’Assemblée nationale où les rapporteurs faisaient état de l’importance de ne pas trop communiquer ces données « tant vis-à-vis des soldats dont le moral doit être préservé, que vis-à-vis de l’ennemi qui doit, autant que faire se peut, ignorer les faiblesses de son adversaire ».

En ce qui concerne la période comprise entre 2007 et 2016, c’est le rapport du Haut comité d’évaluation de la condition militaire qui a fait mention de 154 soldats morts en OPEX ainsi que de 582 blessés physiques, auxquels s’ajoutent les blessés psychiques - souffrant notamment de SPT - au nombre de 2200 entre 2009 et 2016. Sur cette base, certains journalistes ont tenté une extrapolation pour établir un ratio qui serait de six blessés physiques et vingt-sept blessés psychiques pour un mort au combat. Du reste, en 2019, l’ancien chef d’état-major des armées (CEMA), le général d’armée Lecointre, a fourni une estimation oscillante entre 250 et 300 militaires blessés au combat par an, sur l’ensemble des théâtres d’opérations.

À ce titre, et eu égard à ses spécificités où le combat au contact direct de l’adversaire ou encore l’idée de « tenir le terrain » demeurent prépondérants, c’est l’armée de Terre qui enregistre la majeure partie des blessés au combat en OPEX.

 

Cadre général du traitement des blessés au combat.

Le traitement des blessés au combat demeure, au fil des siècles, une constante qui permet de mettre en lumière la solidarité qui anime les soldats d’un même camp. Déjà, dans le poème homérique, comme le décrit Marine Remblière, « cette solidarité passe avant tout par des gestes soignants, de « premier secours » - à l’image d’Agénor bandant Hélènos - et des attitudes, voire des stratégies protectrices, vis-à-vis du blessé, afin de le faire évacuer en toute sécurité ». Le premier contact avec le soldat blessé est évidemment celui de ses coéquipiers, de ses frères d’armes qui l’accompagnent lors de la mission donnée, tandis qu’il est admis que 90 % des morts au combat le sont car ils n’ont pas encore été pris en charge dans une structure médicale. Ce fait justifie à lui seul l’importance accordée à la formation aux premiers secours des militaires engagés en opérations. La doctrine du Service de santé des armées (SSA) en la matière mentionne l’idée de « standard de soins » sur trois niveaux (rôles) dont le premier est communément enseigné à tous les soldats engagés en opérations - avec l’emport d’une trousse individuelle de secours. Pour ce sauvetage au combat de niveau 1 (ou SC1), il s’agit avant tout de la maîtrise de techniques d’extraction de la zone dangereuse, de la pose de garrot ou de pansement, de la position latérale de sécurité ou encore des procédures radio nécessaires à une évacuation sanitaire (EVASAN) ; dans un contexte où les premières minutes sont essentielles pour aider un blessé.

Puisque la blessure survient au combat, la sécurité du militaire « sauveteur » demeure aussi un enjeu primordial où la formation suivie inculque une capacité à établir une priorité entre l’extraction immédiate du blessé de la zone dangereuse et l’élimination de la menace avant toute intervention d’ordre médical. Certains auteurs soulignent, par comparaison avec les modèles américains, que 25 % des pertes peuvent être « dues à une tentative de sauvetage intempestive sans souci de la sécurité du sauveteur ». D’autre part, le risque de blessure étant inhérent à l’immersion du soldat dans le combat, l’objectif de ces savoir-faire du SSA est bien de permettre la poursuite de la mission en préservant les effectifs, et donc la capacité opérationnelle de l’unité engagée (CAPOPS).

L’évacuation sanitaire (EVASAN) n’intervient alors que dans un second temps en fonction de l’évolution tactique, qui met en exergue tout autant la chaîne de soutien logistique que le risque de peser sur le mental des soldats encore valides, marqués par la blessure de leur camarade. Les délais régissant les évacuations, à partir du moment de la blessure, reposent sur des données communes aux pays membres de l’OTAN selon lesquelles : l’extraction du ou des blessés de la zone de combats doit se faire moins d’une heure après ; l’arrivée au bloc chirurgical dans l’antenne dédiée doit se faire moins de deux heures après ; l’évacuation médicalisée vers un hôpital d’instruction des armées (HIA) situé en métropole doit se faire 24 à 36 h après.

Dans ce cadre espace-temps contraint pour garantir la survie du soldat blessé, le concept français de « médicalisation de l’avant » prend tout son sens et repose en premier lieu sur le poste médical. Assurant le soutien direct de l’unité de combat à laquelle il est intégré, il est une petite structure composée a minima d’un médecin, d’un infirmier et d’un auxiliaire sanitaire, formée pour agir en milieu hostile et au plus près du combattant blessé. Cette proximité avec les autres soldats renforce la cohésion générale du groupe, la confiance mutuelle et, in fine, le moral au combat. Cet aspect psychologique dépend entre autres de la réalisation de la demande d’évacuation sanitaire par le poste médical puisque, même si la doctrine enseignée au sein de l’armée de Terre repose sur la « sacralisation de la mission », la poursuite de l’effort de combat peut être influencée par les inquiétudes des militaires pour leur frère d’armes touché.

Il faut ici souligner l’importance de la complémentarité des moyens d’évacuation pour traiter le soldat blessé entre moyens terrestres et moyens aéroterrestres. Dans le premier cas, il s’agit principalement du véhicule de l’avant blindé sanitarisé (VAB SAN) : il dispose de grandes capacités de franchissement - ce qui permet d’arriver au plus près du blessé -, d’un blindage assurant une bonne sécurité et d’une adaptation issue des conflits asymétriques (à l’instar de l’Afghanistan) avec l’ajout d’armement ou la disparition des signes distinctifs médicaux. Néanmoins, la capacité de transport de blessés reste relativement limitée dans la mesure où elle est théoriquement de quatre blessés couchés mais d’un seul cas grave couché en pratique afin de maximiser l’espace et le volume du matériel, le tout dans un confort sommaire et soumis aux aléas de la route. Dans le second cas, il s’agit de l’ensemble des hélicoptères de manœuvre (HM) sanitarisés : ils ne disposent pas de la même protection balistique que les VAB SAN et sont soumis aux aléas météorologiques, mais ils sont évidemment plus rapides, avec une capacité d’emport supérieure - même face à des blessés graves Leur arrivée sur la zone d’évacuation diffuse une forme de sérénité parmi les soldats engagés, rassurés pour leur frère d’armes qui sont pris en charge et évacués vers les rôles 2 et 3 avec une certaine célérité.

En revanche, le traitement de la blessure psychique du combattant, suite à son engagement en OPEX, n’a pas forcément suivi un axe aussi construit que celui de la blessure physique. De fait, ce type de blessure a d’abord suscité des réactions ambivalentes dans l’institution militaire : un « obstacle culturel » dans la mentalité du combattant qui l’amène souvent à ne rien dire de ses souffrances pour un certain nombre de raisons. Parmi celles-ci, on peut relever la crainte que l’aveu d’une telle blessure génère des conséquences néfastes sur le reste de sa carrière sous les drapeaux, ou bien - dans le prolongement d’une réflexion encore souvent partagée sur la notion de « peur » au sein du groupe de combattants - la crainte que ce même aveu menace la cohésion et l’esprit de corps au sein de l’unité. Pourtant, les blessures psychiques sont intimement liées au combat, au même titre que les blessures physiques, puisqu’elles « témoignent dans leurs effets de la confrontation du combattant à la mort dans sa dimension réelle ». L’armée de Terre a su mettre en place des dispositifs « de secours » là aussi, pour le traitement de ce type de blessés au combat, tout spécialement en retour d’expérience (RETEX) des engagements militaires d’Afghanistan (2001-2014) : que ce soit l’action de la cellule d’intervention et de soutien psychologique de l’armée de Terre (CISPAT), la présence en régiment d’un officier référent psychologue ou la mise en place d’un « sas de décompression » à Paphos (Chypre) pour améliorer la transition entre le combat et le retour en France. Ceci témoigne d’une prise en compte progressive vis-à-vis de ce type de blessures au sein des forces afin de mieux traiter et accompagner les soldats.

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