L’esprit de l’Infanterie. Quelque chose a-t-il changé ?
Après 26 ans de service dans l’infanterie, dont plusieurs années au sein de la Légion Étrangère, Bruno Carpentier continue d’honorer son engagement comme réserviste citoyen auprès du Commandement de la Légion. Dans cette réflexion, il explore la pérennité des valeurs qui forgent l’esprit de l’infanterie et souligne la relation unique entre chef et soldats. Une dynamique intemporelle qui perdure, malgré les évolutions stratégiques et technologiques de notre époque.
"Tombant sur cette publication du Pôle rayonnement de l'armée de Terre célébrant la Saint Maurice, patron des fantassins, j’ai eu l’idée de revisiter un article publié en novembre 1995 dans le n° 205 d’Armées d’aujourd’hui. L’inspecteur de l’Infanterie m’avait aussitôt écrit pour me faire part de son « plaisir à le lire », montrant, selon moi, l’unité d’interprétation d’un jeune lieutenant chef de section au général père de l’arme. Après avoir hésité à reprendre ce texte pour l’adapter à la nouvelle situation, humaine, stratégique et technologique, j’ai préféré le reproduire tel quel en me (en vous) posant une question :
Quelque chose a-t-il changé en près de 30 ans ?
Nov. 1995 : L'esprit de l'infanterie est unique parce que les rapports entre le chef et l'homme y sont uniques, l'engagement de soi-même total, intime et continu. Le jeune chef qui, sortant d'école, choisit la reine des batailles doit s'en persuader au risque d'aller à l'échec.
Que ce soit hier dans les tranchées du Chemin des Dames ou aujourd'hui dans les postes d'observation des missions d'assistance extérieure, l'esprit de l'infanterie n'a pas changé. Le sort du chef reste commun à celui des hommes du rang. C'est même une condition primordiale dans le stress du combat antichar comme dans les pénibles soirées pluvieuses au coin du bois, quand il s'agit de durer. Complément indispensable aux principes d'autorité et de compétence qu'elle renforce, cette communauté de sort met en place un climat de confiance et de respect, donc d'obéissance. Quel que soit le niveau hiérarchique du chef, s'il ne peut faire, mais surtout refaire, jour après jour, sans état d'âme, avec, dans l'attitude, une exemplarité infaillible, alors il ne s'impose plus que par l'intermédiaire d'un signe générique : son galon. Ce que l'on ne peut admettre quand on commande l'homme, et non la machine.
Cela va même plus loin et implique des actes simples de la vie quotidienne à ne pas oublier : vérifier que ses hommes sont servis avant de se servir, qu'ils sont abrités avant de s'abriter. Les exemples sont pléthore et illustrent bien le contexte dans lequel vit le fantassin. Oublier ces bases, c'est oublier l'essence même de l'infanterie et prendre le risque de perdre son autorité. La disponibilité ne souffre aucun atermoiement, surtout après les heures de service. Combien de nos garçons attendent derrière une porte sans oser faire le premier pas ? J'en vois déjà lever les bras au ciel en criant : « Haro sur le baudet ! Le chef est aussi un homme ayant droit à sa vie privée, à son temps libre, à son confort personnel, lui qui chaque année repart sur les pistes humides du camp de La Courtine." C'est vrai. Mais l'homme passe avant le chef. C'est ainsi et ça marche depuis des siècles.
Quand on choisit de servir dans l'infanterie, on le fait certes par amour du dépassement de soi, tant physique que moral, pour voyager de par le monde, pour le prestige du béret et le ressort magnifique de la mythique Dien Bien Phu et autre plaine du Mékong. Vouloir être le plus beau, le plus fort, correspond à un souci louable. Mais dans la "biffe", on commande à des hommes, êtres vivants aussi fragiles que forts, sans qui rien ne se fait. Alors être le plus beau ou le plus fort perd tout son sens. Il s'agit de devenir le meilleur, les meilleurs, objectif accessible par une volonté commune exprimée dans un complet climat de sérénité et de cohésion.
Tout donner sans rien attendre
Le jeune sergent ou lieutenant qui, sortant d'école, arrive dans son régiment, doit en être persuadé, au risque d'aller à l'échec. Un subordonné a besoin de se savoir soutenu par son chef, quoi qu'il arrive. Alors ce dernier pourra foncer sans avoir à se retourner pour vérifier si on le suit.
C'est cela l'esprit de l'infanterie : tout donner sans rien attendre, pour tout recevoir. Il nous reste, s'il fallait encore s'en convaincre, ces mots de Michel de Saint-Pierre "Car une lumière marque le front de celui qui est appelé à mener les hommes : son indifférence au bonheur."
Et par saint Maurice…"
Soldat !
Où tu trembleras
Mes mains te rendront l'aisance.
Où tu tomberas,
Mon corps chassera l'absence.
Où hésiteras,
Mes yeux t'emporteront d'audace.
Où tu marcheras,
Mes pas te montreront la trace.
Et si la mort venait te prendre.
C'est dans le souffle de mes cendres
Que reposerait ton âme.
Car où que je t'ordonne d'aller,
Avant je serai passé.
Lieutenant-colonel (rc) Bruno CARPENTIER, COMLE/DRP
Écrivain et chroniqueur, Bruno Carpentier a servi dans l’Infanterie pendant 26 ans. Il a été chef de section (94e RI, 126e RI, 13e DBLE), commandant d’unité (1er RE), adjoint Instruction au Centre d’entraînement commando – 9ème Zouaves, et officier supérieur à la Légion étrangère. 23e rédacteur en chef du magazine Képi blanc, il a servi au 3e REI (officier en charge de l’instruction du combat de l’infanterie en milieu équatorial), au 1er RE (chef du Bureau Instruction) et à l'état-major de la Légion étrangère (SCEM). Il a participé à des opérations en Nouvelle-Calédonie, en ex-Yougoslavie, en Afrique, en Amérique du Sud et en Afghanistan. Il a quitté le service actif en 2013.
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