Le devoir de mémoire, c'est aussi une affaire de famille

Direction : Réserve citoyenne / Publié le : 03 décembre 2024

« La mémoire, ce n'est pas seulement une faculté, c'est un devoir ». Dans cet article, Eric Tromeur, réserviste citoyen auprès de la Délégation militaire départementale d'Ille-et-Vilaine (DMD35), revient sur les traces d'Henri Tromeur, son grand-père, mort à Vauquois le 26 février 1916. Un texte qui honore la mémoire des anciens et valorise les liens de fraternité tissés dans l’adversité, nous rappelant l’importance de transmettre ces valeurs aux générations futures.

Le devoir de mémoire, c'est aussi une affaire de famille © DMD 35

« L’histoire de Vauquois, c’est d’abord celle d’un homme, Henri Tromeur, soldat de 14, qui se transmet de génération en génération.

Henri Tromeur a été tué à l’ennemi, selon la terminologie adoptée, le 26 février 1916, dans les premiers jours de l’offensive allemande de Verdun. Il est inhumé à la nécropole Nationale de la Maize, sa tombe porte le numéro 1699.

Voilà à peu de choses près, ce que sa veuve, ma grand-mère, mère de 4 enfants, a su de la disparition de son mari. Comme tant d’autres ! Pierre Tromeur, son fils aîné, qui avait 5 ans en 1916, a cherché sa vie durant des traces de ce père disparu trop tôt, et il a fini par trouver les circonstances exactes de sa mort, ainsi que des photos de lui. Sur les 365 000 morts de Verdun ! 

Pour cela, il a intéressé toute sa famille à l’histoire de Vauquois, assez peu connue du grand public.  

Vauquois en Argonne 

Vauquois est à l’origine une petite bourgade de la Meuse, juchée sur une butte en lisière de la forêt d’Argonne. Elle compte 200 âmes en 1914, et son clocher se voit de loin. Tout près, à une dizaine de kilomètres, se situe Varennes,  connue pour l’arrestation de Louis XVI.

A 30 km à l’ouest de Verdun, Vauquois constituera l’une des extrémités du front lors de l’offensive de février 1916. Avec ses 300 m d’altitude, la Butte est un point d’observation convoité par les deux camps dès le début du conflit. Si l’offensive de Verdun dure 10 mois, à Vauquois, on y luttera de façon acharnée 4 années durant.

Comment Henri Tromeur s’est il retrouvé  dans cette tourmente ?  

Henri, après 2 ans de service militaire effectué au 118e régiment d’infanterie de Quimper, part travailler au Canada. Il en revient à la déclaration de la guerre, et se trouve incorporé dans son régiment d’origine, alors engagé dans les durs combats de la Somme.

Blessé le 20 décembre 1914 à la jambe, il est évacué dans un hôpital de l’arrière, à Avignon. Il en sort le 2 février 1915, soit… 1 mois et demi plus tard, pour rejoindre le 46e RI à Vauquois.

Ce régiment qui fait partie de la 10e division d’infanterie - anciennement appelé Régiment Bretagne et aussi régiment de la Tour d’Auvergne depuis 1800 - est celui qui mènera entre autres, l’assaut de la Butte lors des trois attaques des 17, 28 février et 1er mars 1915.

Les deux premières attaques ayant échoué, ce sera celle du 1er mars 1915, qui permettra de s’accrocher à la butte occupée par les allemands, et d’y prendre position. Henri Tromeur y participera, aux côtés d’un personnage illustre, Henri Collignon, conseiller d’Etat, ancien préfet du Finistère, secrétaire général de l’Elysée, qui s’est engagé à 58 ans comme… simple soldat. Refusant le grade de sous-lieutenant et réclamant seulement « l’Honneur de servir », il se verra confier le rôle de porte-drapeau du régiment.

Il meurt le 16 mars suivant, en voulant prêter secours à un camarade blessé. Le buste d’Henri Collignon est toujours visible dans la salle de réception de la préfecture du Finistère.

A partir de 1915, Vauquois connaît comme sur tout le front une guerre de position entre les deux camps dont les tranchées et boyaux sont parfois éloignés de 20 m. C’est une guerre d’usure, faite de coups de main, de combats d’artillerie de tranchées ou d’artillerie lourde.

Les Français expérimenteront avec les sapeurs-pompiers de Paris l’utilisation de liquides inflammables. A leur dépens, des vents contraires occasionnant plus de dégâts dans les lignes françaises.

Vauquois et la guerre des mines  

Ce qu’on retiendra le plus de Vauquois, c’est « la guerre des mines », qui consiste à  détruire l’ennemi au moyen de sapes remplies d’explosifs. Pour cela, il faut creuser des kilomètres de galeries, jusqu’en dessous des lignes adverses, à l’extrémité desquelles des tonnes de cheddite et autres explosifs sont acheminées.

Chacun des camps creuse, transformant les fantassins en « pionniers », sous la direction du Génie (17 km de galeries du côté allemand, 5 km du côté français).

La butte de Vauquois va ainsi se transformer d’avril 1915 à avril 1918 en une véritable termitière. Au total, 519 explosions souterraines se sont produites : 320 françaises et 199 allemandes, utilisant plus de 1000 tonnes d’explosifs. 

Voilà la vie que vivent ces soldats, dont mon grand-père, alternant 4 jours et 4 nuits dans les tranchées de 1re ou 2e ligne, aux créneaux pour les premiers de jour comme de nuit, se reposant le jour pour les seconds et travaillant à la remise en état des ouvrages détruits ou au creusement des galeries la nuit.

L’offensive lancée par les allemands le 21 février 1916 sur tout le front de Verdun, touche aussi Vauquois.  

L’intensité des bombardements aura raison d’Henri Tromeur le 25 février 1916. En voulant s’abriter dans un puits de mine avec un camarade, le soldat Deriaz, ils seront tous deux ensevelis sous la pluie d’obus de 77 mm et de 105 mm allemands qui s’abat sur le secteur Est de la butte ce jour-là.  

Henri Tromeur est déclaré mort le 26 février dans les rôles de la compagnie. Au sein du 46e RI, il appartenait au 3e bataillon, 11e compagnie, 1resection, 5e escouade. 

Matricule 116 7, il sera enterré, jusqu'en 1923, au cimetière provisoire D dit de la Barricade, en bas de la Butte, puis il sera exhumé et ré-inhumé à la Nécropole Nationale créée à cette date. Déclaré « Mort pour la  France », il recevra à titre posthume la médaille militaire et la Croix de guerre 14-18.

Il avait 28 ans, 6 mois et 16 jours et 4 enfants. Le bilan humain des combats menés pour Vauquois s’élèvera à 14 000 soldats tués ou disparus.

Au final, Vauquois sera enlevé par les Américains le 26 septembre 1918 (Harry Truman, futur Président des Etats-Unis, et George Patton, tous deux jeunes officiers, fouleront de leurs pieds la butte).

Pour finir, ironie de l'histoire, le nom de Vauquois fût donné en 1920 à un aviso escorteur qui sera coulé par une mine allemande le 18 juin 1940, à la sortie de la rade de Brest, alors qu’il escortait un convoi chargé d’évacuer l’or de la Banque de France vers l’Angleterre.

Sur les traces d’Henri

La sortie de l’oubli pour Henri Tromeur viendra de la rencontre que fera Pierre Tromeur, son fils, avec André Pézard, lieutenant au 46e RI et auteur d’un livre qui fait référence : « Nous autres à Vauquois ». Ils auront par la suite un échange de correspondances suivi. 

Commandant de compagnie par intérim à 23 ans, André Pézard aura rempli au cours du conflit 5 carnets de guerre indépendamment des Journaux de Marche et d’Opérations et pris de nombreuses photos de Vauquois mais aussi, d’Henri Tromeur… 

A l’occasion de ses correspondances avec mon père, il dira d'Henri Tromeur : « J’avais choisi ces deux photos à la fois pour leur intérêt technique et parce que cette figure de « poilu » me semblait belle, ce visage grave, aimable pourtant, énergique et sombre : un beau visage de soldat français. »  

Quel plus bel hommage fait à Henri Tromeur, soldat de 14 ! Dans cet anonymat de la mort, il aura permis de lui rendre, ainsi qu’à sa famille, son Humanité. 

Henri Tromeur a accompli son devoir, il en est mort. 

Notre devoir désormais est de nous en souvenir. C’est ce qu’on appelle le devoir de mémoire.

Par Eric Tromeur, officier de la réserve citoyenne de l'armée de Terre.


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