Le renseignement d’intérêt militaire dans les safe spheres
L’enjeu de cette note est de montrer que les capacités d’appréhension et d’analyse de l’information seront au cœur des préoccupations futures pour le renseignement au sein de l’armée de Terre, dans un monde où il n’y aura potentiellement plus de perception commune de la réalité entre les individus.
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Ce document ne constitue pas une position officielle de l’armée de Terre.
Le renseignement d’intérêt militaire dans les safe spheresRésumé du scénario de la saison 1 de la Red Team : « chronique d’une mort culturelle annoncée »
Mis à jour : 11 octobre 2022.
Par : Eva Micheletti, rédactrice au pôle études et prospective (PEP).
Les années 2020 voient le déploiement d’une nouvelle génération de réseaux de service, véritables bulles numériques communautaires : les « safe spheres ». Elles adaptent les perceptions du monde extérieur à la réalité que chacun veut lui donner. Les safe spheres sont des « réseaux communautaires qui se structurent autour de la profession, de la religion, de passions et convictions communes ou encore du quartier d’habitation ». « Elles ont pour objectif d’ajouter des éléments de réalité augmentée dans le champ perceptif, pour construire des réalités alternatives. Ces réalités sont variées. Certaines permettent une ludification du monde. D’autres ajoutent des éléments sacrés ou effacent des éléments susceptibles de heurter des sensibilités ». Pour y accéder les individus se connectent aux safe spheres grâce à des lunettes de réalité augmentée, des inserts auriculaires ou des puces intradermiques. En 2040, 90 % des européens y sont connectés si bien qu’il n’y a plus de réel commun partagé. Le 12 octobre 2045, un attentat biologique est commis au cœur de Grande-City, déjà touchée par une crue centennale. Quelques heures après l’armée française lance l’opération Omanyd pour rapatrier les ressortissants français. Les forces françaises arrivent dans un contexte de chaos climatique et d’alerte sanitaire au sein d’une population soumise à des réalités alternatives se révélant incapable « d’entendre » les propos officiels. Entre le 14 et le 20 octobre 2045, l’armée française établit six points d’évacuation hors de Grande-City, mais de nombreux ressortissants s’opposent aux conditions d’évacuation voire se méfient des militaires. La critique médiatique est virulente, les fake news omniprésentes. Le 20 octobre 2045, les ressortissants sont rapatriés jusqu’à Voude avec une flottille de ferries mais ils se heurtent à des bateaux venus du continent qui s’opposent à l’arrivée des réfugiés par crainte de la contagion. Durant le mois de novembre 2045, l’arrivée des ressortissants en France obéit à un protocole strict. En 2047, l’opération « Sécuriser le Réel », sous mandat de l’Union européenne, est lancée pour contrôler les zones de réalités alternatives. En 2050, on estime qu’il faudra plusieurs années d’effort, pour désactiver les « safe spheres » les plus virulentes. Face à une balkanisation progressive du réel, comment retrouver le sens de l’intérêt général et d’un destin collectif ?
Introduction. La guerre dans les « zones grises virtuelles ».
« La troisième guerre mondiale sera une guérilla de l'information, sans distinction entre la participation militaire et civile » (Marshall Mc Luhan, 1970).
Dans un environnement stratégique et tactique toujours incertain, le renseignement d’intérêt militaire (RIM) fournissant des informations utiles à la conduite des opérations de l’armée de Terre, est amené à évoluer pour s’adapter aux nouvelles technologies militaires et civiles. Cette note de recherche s’appuie sur les travaux de la Red Team et en particulier sur le scénario de la saison 1, « chronique d’une mort culturelle annoncée », qui introduit le concept de safe spheres. Celui-ci décrit et imagine dans un futur proche, l’émergence de bulles informatiques virtuelles appelées safe spheres. Ce sont des « réseaux communautaires » qui ont pour objectif d’ajouter des éléments de réalité augmentée dans le champ perceptif, afin de construire des réalités alternatives. Elles s’intègrent dans le concept de métavers, défini comme un monde numérique perçu en réalité augmentée.
Dans ce futur imaginé, les citoyens sont soumis à des réalités parallèles et diverses, et par conséquent la perception du réel est très fragmentée. Si la plupart des safe spheres sont créées à des fins économiques, ludiques ou éducatives, on voit aussi apparaître dans ce scénario des safe spheres radicales, vecteurs de contestation cherchant à nuire et à paralyser l’action de l’armée française. En ce sens, on peut parler de « zones grises virtuelles ».
Il est important de noter que les stratégies dans les zones grises ont deux caractéristiques :
- elles visent à modifier l'équilibre des pouvoirs en faveur de l'agresseur ;
- elles sont conçues pour poursuivre cet objectif en évitant, estompant ou contournant les lignes rouges et l'escalade vers la guerre conventionnelle.
Dans le scénario, les forces armées n’ont pas accès à ces espaces numériques dissidents et évoluent dans leur safe sphere militaire dédiée, laquelle peut être fragmentée en communautés restreintes afin de contrer d’éventuels piratages.
Au-delà du scénario de la Red Team, l’accélération de l’usage de ce type de technologies favorise en effet, à l’échelle mondiale, l’explosion et la diversification du volume et des flux de données, ainsi qu’une compétition accrue pour acquérir les outils de la suprématie numérique. Dans ce contexte, la gestion des données et de l’information constitue un enjeu crucial pour fournir un RIM efficient. Les institutions, les entreprises et les pays qui investissent dans des moyens d’acquérir, de classer, de monétiser et de stocker les données sont avantagés. En outre, la notion de respect de la vie privée est totalement redéfinie car les individus partagent davantage d’informations personnelles afin d’accéder aux safe spheres.
Ceci renforce les gouvernements autoritaires qui continuent d’exploiter le big data pour surveiller et contrôler les populations. Le contrôle des données numériques devient un outil d’influence majeur. Des entreprises, organisations ou acteurs non étatiques disposent d’outils puissants pour manipuler l’information : vidéos truquées (morphing, deep fake, face swap…), utilisation de messages fabriqués par l’intelligence artificielle (IA). Les applications d’IA deviennent des cibles potentielles pour la manipulation des données. Dans le domaine cyber, la connectivité accrue des individus augmente la vulnérabilité des institutions : « la présence de centaines de milliards de dispositifs connectés accroit considérablement la surface d’attaque cyber-physique. En outre, l’application de la cyber sécurité fondée sur des frontières géographiques perd de sa pertinence dans un réseau de plus en plus international». Dans ce contexte, l’Europe et la France demeurent fragiles en matière de souveraineté numérique.
Après avoir mis en évidence l’enjeu crucial de l’accès et de la gestion de l’information de ces espaces virtuels, cette note aborde la façon, pour l’armée de Terre, de contrer les menaces ennemies en zones grises virtuelles...
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